L’expérience de la résistance du village de Budrus est la meilleure illustration de la lutte menée depuis bientôt deux ans contre le Mur construit par Israël en Cisjordanie. Depuis décembre 2003 en effet, pas un mètre du Mur qui entoure maintenant Budrus n’a été construit sans une série de manifestations ponctuelles rassemblant les villageois, des internationaux et des Israéliens solidaires.
Situé le long de la Ligne verte dans le district de Ramallah, Budrus, village de 1300 habitants, a déjà été coupé d’une partie de ses terres en 1948. En 1967, elles sont devenues « définitivement » israéliennes. Lorsque fin 2003 le personnel des Nations unies [1]chargé d’évaluer les conséquences du Mur en Cisjordanie est venu les informer que le Mur allait traverser leur village, les villageois se sont unis pour s’opposer aux nouvelles confiscations de terres qui allaient s’ensuivre. Les habitants de Budrus considèrent même qu’en comparaison de 1948, il en va cette fois-ci de leur propre survie.
Budrus, Mas’ha, Baqa al Sharqiya, Jayyus...
Le Mur exclut et exile
Budrus se retrouve dans la même situation que les autres villes et villages situés plus au nord sur la Ligne verte. Deux murs sont construits tout autour de Budrus : l’un pour le séparer d’Israël et l’autre pour séparer Budrus et les villages voisins, Ni’lin, Al Midya et Qibya du reste de la Cisjordanie. Les deux murs privent Budrus de 45% de ses terres. Le schéma devient aujourd’hui classique puisque cette incursion du Mur dans les territoires palestiniens permettra ainsi aux colonies situées à l’ouest de Ramallah d’être annexées à Israël [2].
A l’isolement et au dépiècement s’ajoute la crise économique. Car comme l’ensemble des villes et des villages plus ou moins proches de la Ligne verte et qui subissent directement les conséquences du Mur, l’économie de Budrus repose principalement sur la production agricole. Cet état des choses s’est même imposé depuis le déclenchement de la deuxième Intifada. Le travail en Israël étant devenu pratiquement impossible et les nombreux check-points de la région les empêchant d’avoir un travail régulier à Ramallah, la plupart des habitants de cette zone ont été contraints de ranger leurs diplômes et se sont tout naturellement reconvertis dans le travail de leurs terres.
La construction du Mur, qui entraîne la confiscation d’une grande partie des terres les plus fertiles et des terres servant au pâturage, laisse ainsi des familles entières sans aucune source de revenus alternative, à moins, pour elles, d’envisager l’exil ou l’exode vers les zones urbaines.
Unis dans la non-violence
Alors que la première phase de la construction du Mur s’est faite en 2002 et début 2003 dans une semi-inertie, sans que les Palestiniens n’aient eu le temps de mesurer ce qui leur arrivait et de réagir, les habitants de Budrus ont choisi de résister et de s’opposer fermement aux desseins de l’occupant. Axer cette résistance sur des mobilisations non-violentes leur est immédiatement apparu la meilleure stratégie à adopter face aux velléités israéliennes. Avant même que l’armée ne vienne signifier aux habitants la construction du Mur sur leurs terres et les expropriations qui en découlaient, le village avait déjà créé son comité de résistance populaire contre le Mur, regroupant les principales familles de Budrus et des villages alentour sans distinction d’appartenance politique. A partir de là, les villageois ont élaboré ensemble leur tactique de bataille. Il s’agit d’alerter le village dès que quelqu’un aperçoit l’arrivée des jeeps de la police des frontières ou de l’armée israéliennes. Les femmes sont alors les premières pour aller au devant d’eux et faire un sit-in dans les oliveraies ou sur les terres que les bulldozers menacent de raser.
Aussi, en reprenant l’exemple de Mash’a [3], les villageois ont très tôt alerté les internationaux et les Israéliens déjà mobilisés contre le Mur pour qu’ils les rejoignent dans leur combat. Commence alors la série des manifestations qui va faire connaître Budrus.
Dès décembre 2003, les premiers bulldozers arrivant dans le village accompagnés de militaires israéliens se sont retrouvés face à tous les habitants du village en plus d’un député suédois, d’internationaux [4] et face à une dizaine d’Israéliens, dont le mouvement des Anarchistes israéliens contre le Mur. Pour bien démontrer le caractère pacifique de leurs manifestations, ce sont les femmes et les écoliers du village qui se placent au premier rang. Mais loin de faire reculer les soldats, ceux-ci ne répondent que par des tirs de balles en caoutchouc, des grenades assourdissantes, des gaz lacrymogènes et des arrestations.
Cependant, comme il arrive que, pafois, ces échauffourées interrompent le travail des bulldozers et le reportent pour quelques jours, les rassemblements se sont multipliés depuis, malgré les couvre-feux imposés régulièrement au village. De plus, depuis mars 2004, les militants de Ta’ayush se sont joints en nombre aux manifestations et apportent un soutien juridique aux habitants quand ils se font arrêter, tout en alertant l’opinion israélienne et internationale sur leurs conditions de détention.
Quelques hectares de terres gagnés mais la résistance continue
Aujourd’hui, le Mur entoure Budrus du nord au sud-ouest. Mais la persévérance de Budrus et son acharnement à garder ses terres ont fini par faire reculer le Mur jusqu’à la Ligne verte, du moins sur son flanc ouest, et d’épargner ainsi une dizaine d’hectares où s’étendait une vaste oliveraie. En soi, c’est une véritable victoire qui a été obtenue car elle crée le premier précédent de l’histoire de la construction.
Cependant, les villageois sont maintenant mobilisés contre la construction du Mur au sud. En octobre, ils ont attaqué en justice l’entreprise publique israélienne chargée de la construction du Mur qui en a dévié l’itinéraire, initialement prévu au faîte d’une colline. Pour avancer plus facilement et plus vite avec ses bulldozers, l’entreprise de construction rase les terres au pied du village. Les manifestations qui ont lieu ces derniers mois sont réprimées de plus en plus violemment, surtout depuis que l’armée a laissée la place à la police des frontières, connue pour son agressivité. Femmes et enfants sont frappés sans ménagement. Les habitants soutiennent que les gaz lacrymogènes qui leur sont lancés ne sont pas les mêmes que d’habitude, ils provoquent des paralysies et des suffocations qui les obligent à se faire systématiquement hospitaliser. Les derniers couvre-feux durent en moyenne quinze jours.
Les arrestations se multiplient et durent de plus en plus longtemps. La dernière en date concerne d’ailleurs l’un des leaders de cette résistance et l’un des dirigeants du Comité de résistance populaire contre le Mur, Ahmed Awad, qui est en détention depuis le 21 octobre. Bien sûr, Ahmed Awad n’en est pas à sa première arrestation. Mais à chacune d’elle auparavant, les motifs n’étaient jamais retenus. Cette fois-ci, le Shin Bet ne veut rien entendre alors même que le juge militaire, Adrian Agassi, a annulé l’ordre d’arrestation, jugeant que manifester ne représentait pas un danger pour la sécurité publique d’Israël. Le 3 novembre, la cour d’appel militaire a annulé l’annulation du juge Agassi et décidé qu’Ahmed Awad resterait en détention jusqu’à la fin de l’année.
Avec cette arrestation, c’est toute la lutte pacifique contre le Mur qui se trouve réprimée de la façon la plus ironique. Dans un article qu’elle consacre à Budrus, la journaliste Amira Haas rappelle qu’Ahmed Awad n’a réellement à son actif que d’avoir encouragé « la fraternisation avec des Israéliens, la reconnaissance d’une lutte palestino-israélienne commune contre l’occupation, le succès de la lutte populaire à modifier les décisions militaires, le refus de prendre le chemin de la violence pour répondre à la violence de l’armée et de l’occupation. » [5]
Aujourd’hui, Budrus paye sa formidable stratégie de résistance. A nous, mouvement de solidarité, de faire en sorte que Budrus devienne un exemple de cette résistance qui s’étend et de la poursuite de la lutte contre le Mur.
Rabab Khaïry